L’origine de la violence d’Elie Chouraqui

L’origine de la violence d’Elie Chouraqui

L'Oeil Avisé
L_Origine_de_la_violenceDe Elie Chouraqui
Sortie le 25 mai 2016
France, 1h50
Produit par Paradis Films
D’après le livre de Fabrice Humbert
Avec Richard Berry, Michel Bouquet, Stanley Weber, César Chouraqui

Nathan, jeune professeur faisant des recherches pour sa thèse sur les résistants allemands à Weimar, se retrouve dépassé par ses investigations lorsqu’il trouve une photo du camp de Bucherwald qui le ramène à son propre passé. Ses recherches vont alors devenir une quête d’identité par son histoire familiale. 

Le film s’ouvre sur une très belle scène accompagnée de la voix de Nathan en off, dont les mots s’inscrivent en surimpression sur l’image, évoquant à la fois le livre qu’il écrit dans le film, et celui de Fabrice Humbert qui a inspiré le réalisateur. Le spectateur entre ainsi dans une histoire plurielle : celle du livre, inspirée elle-même de l’histoire familiale de Nathan en flash-back,  l’Histoire de la Shoah ; et l’histoire de Nathan lui-même. Ces mots sont ensuite illustrés par l’image, comme « je frappe », suivi d’une scène de bagarre. C’est pourquoi le personnage cherche l’origine de la violence qu’il a en lui, et par là d’où il vient.

L’idée du voyage est  présente dès le début, par de nombreux plans qui s’attardent sur le personnage principal en voiture, en métro ou à pied ; ainsi que par les différentes destinations qu’il prend : Weimar, Paris, Genève, la maison de son grand-père. Les gros plans et plans rapprochés qui semblent sonder l’intériorité du jeune homme, transforment ce voyage physique en voyage intérieur vers une quête de soi et de son histoire. La caméra entretient ainsi cette proximité entre le spectateur et le personnage et entre les personnages entre eux, par des plans rapprochés qui ne sont pas stables mais fluides. Ils sont même haletants selon le réalisateur, pour être en adéquation avec la respiration du spectateur, de façon organique, bien que les zoom incessants puissent être un peu nauséeux. L’image est toujours travaillée avec des effets de flous et de reprise de points, à l’image d’un souvenir qui refait surface. Le langage cinématographique est déployé pour exprimer au mieux chaque sentiment, dont l’évolution est soulignée par une musique crescendo : la deuxième partie de la symphonie n°7 de Beethoven, entrecoupée de musique plus électro, passé et présent se rejoignant également dans la bande son.

Dans ce voyage, Nathan s’expose avant tout à sa relation avec son père, relation fragile qui ne tient qu’à un plat de foie de veau. En remontant le temps et les générations, cette transmission génétique de la violence n’est pas sans évoquer La bête humaine de Renoir d’après le roman de Zola. Le jeune homme, comme son père, n’est pas maître de cette violence intrinsèque dont l’ « héritage n’est précédé d’aucun testament » comme le dit René Char. En effet Elie Chouraqui affirme s’être inspiré de l’épi-génétique pour la question de l’hérédité, science qui prouve que les traumatismes essentiels peuvent se transmettre génétiquement.

Mais on pense aussi au célèbre A History of Violence de David Cronenberg, dans l’idée de la violence qui engendre la violence, avec un rapport à l’amour à la fois en opposition et en complémentarité. La violence repousse l’amour (Nathan faisant fuir Gabi), et inversement, les deux s’équilibrent aussi, l’amour canalisant cette énergie. C’est en effet ce que pense Elie Chouraqui, selon qui « la puissance de l’amour balaye tout le reste ». On ressort ainsi à la fois bouleversé et plein d’espoir, en retrouvant nous-mêmes nos vraies valeurs.

Ce traumatisme est en effet celui de la violence du contexte la Shoah sur fond duquel prend place l’histoire familiale par les flash-back. L’enjeu est alors celui de la mémoire et de la commémoration : comment se ré-imprégner du passé ? Les musées proposent des maquettes, des photographies et des panneaux explicatifs mais c’est en le vivant de l’intérieur que l’Histoire touche Nathan et le spectateur. C’est là la touche d’originalité du film, qui ne tente pas de reconstituer l’histoire de façon moralisatrice mais pose la question du souvenir et de l’oubli : comment aujourd’hui y penser alors qu’il n’y a plus beaucoup de témoins ? Faut-il ré-invoquer le passé pour avancer ou l’effacer ? Les deux temporalités passé/présent sont ainsi imbriquées, les passages de l’une à l’autre étant relativement brutaux, en cut, permettant aux scènes de se donner mutuellement du sens, puisque se remémorer c’est rappeler le passé dans le présent. Cette brutalité est particulièrement forte dans l’arrivée au camp de concentration, dont les scènes sont d’autant plus émouvantes qu’elles contrastent avec l’histoire contemporaine de Nathan ; portée par une interprétation sans faille de César Chouraqui.

L’origine de la violence est en somme un film émouvant, marquant pour une génération qui cherche aussi ses racines et qui a besoin de savoir d’où elle vient pour avancer, tout comme Nathan. Le film s’inscrit aussi dans une grande sincérité, vécue autant par l’équipe pour qui le tournage était émotionnellement éprouvant, que pour le spectateur qui devient alors témoin. Un film que le réalisateur revendique comme une synthèse de tous ses films, jouant sur des thèmes récurrents dans sa carrière de transmission, mémoire et famille.

Laura Bourdais

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