Les aventures du Prince Ahmed de Lotte Reigniger
Date de sortie le 02/05/1926
Allemagne
Durée : 1h33
Les aventures du Prince Ahmed. Il y a sans doute déjà un peu de la magie du film dans son titre. La prouesse technique que constitue ce film d’animation de 65 minutes, le plus ancien film d’animation conservé que l’on possède ne cède en rien à la féérie d’images directement venue des Mille et Une Nuits. Conte en papier, en cinq actes, les amateurs de ce type de cinéma pourront immédiatement reconnaître les techniques d’ombres qu’affectionne aujourd’hui largement Michel Ocelot, et trouver dans ce film l’une des racines du cinéma d’ombres, mais également du conte au cinéma.
Mais au-delà du film, la projection de ce mardi 15 mars à Vedène était un ciné-concert. Sur un film muet, sans son, ponctué de cartons, ces écrans textuels permettant à la narration de recourir à quelques mots, le concert se fait souvent inévitable. Si 1926 était à l’orée des premiers films parlants (à savoir le Chanteur de Jazz en 1927), la réalisation a commencé en 1923, et nécessité trois ans de découpages minutieux et une maestria dans l’éclairage des fonds et décors.
Le résultat de ce travail acharné a su garder sa fraîcheur et sa magie, sans doute en bonne partie par l’inspiration intemporelle que constituent les contes des Mille et Une Nuits, auquel le film emprunte plusieurs histoires, comme celle d’Aladin ou le cheval volant. C’est dans cette inspiration que les deux musiciens présents ont composé et interprété une musique percussive, aux sons africains et aux accents parfois tribaux, joué tantôt à la flûte peule, tantôt dans des arpèges sporadique d’un violoncelle qui a su s’acclimater aux tons et couleurs de la musique du nord de l’Afrique. Parfois pourtant regrettions-nous peut-être un manque de variation dans la musique, qui sans être monocorde ne souffrait que de peu de montées et descentes, tant en tonalités qu’en intensité.
Les quelques trois cents enfants de maternelle présents avec leur classe à la projection auront sans doute pu trouver tant dans la musique que le film quelques longueurs, quelques passages un peu à vide où le contemplatif et le jeu d’animation viennent prendre quelques secondes la place du récit. Sans doute faut-il y voir chez ceux-là un manque de recul et une habitude d’un rythme de narration plus régulier et plus soutenu, sinon simplement une féroce envie et donc impatience de revoir Aladin, héros qu’ils ont appris à chérir chez Disney et qui n’apparaissait que dans le 4e acte du film.
Le film aura pourtant réussi, semble-t-il, à faire voyager un peu les esprits enthousiastes des spectateurs, enfants comme adultes, et se révèle à nous comme une petite pépite de poésie, un intermède dans le monde parfois trop réglé dont s’écarte immanquablement ce film, qui parvient à affirmer sa forme de conte même en réadaptant de nombreux récits dans de nombreux lieux et pays, réels et imaginaires, sans jamais pourtant recourir à la répétition. Sans doute retrouve-t-on chez Disney de nombreux connaisseurs de ce bijou ancien, presque séculaire, et il faut voir la bataille de Merlin et Madame Mim dans Merlin l’Enchanteur (1963) ou l’apparition du Prince Ahmed en visite au palais du Sultan dans Aladdin (1992).
Quoi qu’il en soit, il est bien possible que le mage africain aux gestes chamaniques inspire plus tard encore d’autres personnages, à moins que ce ne soit son ennemie la sorcière de la montagne de flamme, tout comme eux-mêmes furent-ils inspirés par la minutie et la poésie des arts de l’ombre en Orient, bien avant le cinéma lui-même. Le film, ressorti en 2007 a été depuis acclamé par la critique et n’attend plus que la vôtre !
Luke Menneteau