« Une année polaire » (Samuel Collardey) par Marie Lemoine
Un travelling vertical ouvre Une année polaire sur le vaste Groenland, vu de haut. Le plan, vertigineux, plonge le spectateur dans l’immensité du territoire, traversée par de sinueuses rivières qui se forment entre les plaques de glace. Cette profondeur n’est cependant qu’une illusion, le plan se substituant au regard d’Anders qui parcourt une image satellite enfermée dans un cadre accroché au mur. Pour Anders, jeune instituteur danois, le Groenland n’est pour l’instant que la représentation d’un départ à l’aventure, d’une émancipation, d’un avenir non dicté par l’héritage de la ferme familiale. Mais lorsque celui-ci arrive enfin sur place et entâme ces premiers jours de travail à l’école de Tiniteqilaaq, un village de quatre-vingt habitants, tout n’est pas comme il l’avait imaginé.
Le début du film souligne ainsi le désarroi d’Anders face à une population qu’il ne connaît pas et qu’il ne peut alors comprendre tout de suite. Muni de bonnes intentions, celui-ci arrive avec sa culture danoise, dont sa langue, son organisation familiale, son système éducatif, et tente de la transposer, se positionnant ainsi en colonisateur. Cependant, demander à un enfant de Tiniteqilaaq de rester assis et attentif face au portrait de Luther affiché au tableau lorsqu’il aspire à devenir chasseur comme son grand-père dans un univers où l’apprentissage pratique est nécessaire à la survie, s’avère plus compliqué que prévu. Mais l’enfermement ne tarde pas à laisser place à l’ouverture. La résistance et la rigidité d’Anders finissent par s’évanouir au fil des mois, des déambulations dans cet environnement sauvage et majestueux et des échanges tantôt crispés, tantôt affectueux avec les habitants, entre initiations aux traditions, aux savoir-faire et récit de légendes.
Avec justesse, Samuel Collardey ancre son quatrième long-métrage sur un territoire dont la pureté fait ressortir les liens tissés entre chacun des personnages, à la manière de traces de pas laissées dans la neige. En brouillant les frontières géographiques et culturelles, il fait rayonner avec authenticité et délicatesse son récit initiatique, par lequel il questionne notre rapport à l’Autre, si intime ou lointain soit-il et valorise nos relations humaines, tout en nous ramenant à nos racines et à notre part d’animalité. La sincérité de la réalisation est d’autant plus présente que les acteurs, tous amateurs, jouent leur propre rôle dans cette réalité partiellement mise en scène. En ceci, elle témoigne d’une connaissance presque ethnographique de son sujet. Cette limite entre réalité et fiction, déstabilisante, nous rappelle que c’est aussi de cinéma que l’on parle.
Film en compétition
Sortie nationale : 30 mai 2018
Bande annonce : https://lc.cx/PfP3