[Sociogramme] Seul
Seul
Je l’ai vu dans le hall du cinéma multiplex « Le Capitole ».
Ces halls bruyants et colorés sont des espaces où le spectateur doit s’orienter entre plusieurs stimulations : visuelles, olfactives et auditives. L’odeur du pop corn côtoie les écrans sur lesquels sont projetés les bandes annonce des prochains films, eux-mêmes brouillés par un espace où est diffusé le dernier jeu vidéo en vogue, tout cela accompagné d’une musique d’ambiance noyée dans les brouhaha des voix des spectateurs. Je me suis souvent demandée si, comme dans une vision dantesque, ces halls ne constituaient pas l’antichambre infernale permettant aux spectateurs d’apprécier encore plus le paradis feutré d’une salle de cinéma.
L’enfant est arrêté, immobile au milieu de la foule qui s’agite. Son corps est tendu. Le regard rivé vers les visages voisins se tourne à 360 degrés dans un mouvement lent, qui s’accélère brutalement à l’idée qu’il est perdu. Le contraste entre son corps, secoué de mouvements rapides et saccadés, et celui des autres enfants, est saisissant.
L’enfant, étoile entourée de planètes-parents, oscille entre implosion et explosion.
Je m’approche de lui, je m’accroupis pour lui saisir la main et essayer de calmer son agitation. Il se tourne vers moi, regarde avec méfiance mon sourire d’adulte inconnue et sans aucune transition, sans que je puisse dire ou faire ou même penser quelque chose, ses yeux s’emplissent de larmes. La tension se relâche, les sanglots saturent les quelques mots que j’arrive à lui faire prononcer, les rendant incompréhensibles.
La solitude d’un enfant perdu est immense et inconsolable ; elle présente cette caractéristique d’absolu que revêtent les sentiments enfantins. Tout dans le corps d’un enfant devient alors expression de cette angoisse solitaire : les pleurs, le regard rivé vers le bas, l’affaissement des épaules, la démarche hésitante, les cris, l’irrationalité des déplacements.
Selon John Bowlby et Isabel Soares, l’attachement est conçu comme un comportement qui aboutit à la recherche de la proximité d’un individu différencié et préféré. Lorsque cette figure d’attachement est disponible, le comportement peut se limiter à une vérification visuelle ou auditive dirigée vers cet individu. Cependant, dans certaines circonstances, l’enfant peut s’adonner à la recherche de la figure d’attachement, ou chercher à l’attraper, de façon à stimuler chez elle un comportement de soins. La personne d’attachement fonctionne, en principe, comme un havre de sécurité, une source de réconfort et de protection dans un contexte d’activation environnementale, et comme base de sécurité pour l’exploration.
Le temps d’un éclair, je croise dans le hall le même regard angoissé, mais cette fois-ci, c’est un adulte. Le parent retrouve l’enfant.
La preuve que ces liens d’attachement nous aimantent envers et contre tout.
Irene Panizzi