Zoom sur : la musique dans l’art religieux
Après avoir vu La passion d’Augustine, un petit retour sur la représentation de la musique dans l’art religieux, et plus globalement sur sa conception dans la religion, nous a paru pertinent.
Remontons d’abord le temps dans l’Antiquité romaine, où la musique était principalement associée au dieu Apollon, dont l’attribut était la lyre. Tous deux sont présents sur le tableau classique d’Andrea Sacchi, Apollon couronnant Marcantonio Pasqualini (1641, huile sur toile, 243×194 cm, Metropolitan Museum of ART, New York).
La flûte de Pan est aussi un instrument présent dans l’art païen : faite de roseaux ayant poussés sur la sépulture dudit Pan, un son mélodieux sortant de ces tiges creuses sous l’effet du vent attira l’attention d’Athéna. C’est alors que Marsyas, un silène du cortège de Dionysos, s’empara de cette flûte, jetée par Athéna qui la jugeait indigne puisque l’instrument déformait ses joues lorsqu’elle voulait souffler dedans. Mais Marsyas eu l’audace de défier Apollon à un concours musical. Ce dernier étant déclaré vainqueur par les muses, il condamna Marsyas à être attaché par les poignets, comme on le voit dans la partie droite de la peinture en arrière-plan, et à être écorché vif par un esclave scythe. La flûte est ici cassée par terre à ses côtés, tandis que le mouvement du silène répond à celui du personnage ornant le clavecin, qui existait par ailleurs réellement et appartenait à la famille Barberini puisqu’il figure dans leur inventaire.
Il s’agit en effet d’une commande de portrait représentant un proche du pape Urbain VIII, qui était aussi passionné de musique, comme beaucoup de mécènes italiens du XVIIe siècle. Il s’agit donc avant tout d’un portrait social, le clavecin mettant en avant les qualités intellectuelles et élitistes de Pasqualini, ainsi que sa richesse, mais aussi sa gloire, couronné par le dieu. Apollon, comme représentant de la musique intellectuelle prônée par ces intellectuels italiens, s’oppose à Marsyas (lié à Dionysos) et par là à Pan, ces derniers incarnant le plaisir des sens, ici maîtrisé et attaché.
La flûte en elle-même est évocatrice, comme dans Le Concert (huile sur toile, 87,5 x 115,9 cm , New York,
Metropolitan, 1595), commandé à Le Caravage par son riche mécène italien : le Cardinal del Monte. Dans l’art baroque, la musique est souvent liée aux tavernes, aux plaisirs de la chair (le tableau ne manquant pas de sensualité), et n’exprime donc pas une grande religiosité.
Les instruments de musique sont effectivement ambigus dans l’histoire de l’art : les guitares (et autres instruments à cordes) sont ainsi associées au corps féminin, les binious font référence au sexe féminin, et les flûtes au sexe masculin. On comprend ainsi mieux les peintures du nord de Brueghel l’ancien (Le mariage paysan, 1568, 164x114cm, huile sur bois, Vienne), les instruments n’accompagnant pas seulement des événements paysans et profanes, mais renforçant cette idée d’orgie, dans une satyre moralisatrice des plaisirs païens.
De ce point de vue, la musique n’est donc pas réellement compatible avec la religion, et on comprend ainsi pourquoi la passion d’Augustine n’est pas acceptée par la congrégation dans le film. Cependant, comme nous l’avons vu, il s’agit aussi d’un plaisir intellectuel dédié à une élite, qui correspond en cela pleinement aux idées du cercle de Careggi à la Renaissance. Sous Laurent le Magnifique (1449-1992), apparaissent dans les grandes villas romaines des philosophes qui travaillent en synergie avec les peintres et les sculpteurs, réunis autour de Marsile Ficin. La musique, sous l’influence de la pensée platonicienne, est vue comme un art aux 7 tonalités qui correspondent aux 7 planètes, mais aussi un mélange du trivium et quadrivium (les 7 matières canoniques enseignées), et crée donc une passerelle entre les arts, la morale, la philosophie. A chaque tonalité correspond ainsi un art (peinture, sculpture…). L’art immatériel est alors au centre de tout, l’immatériel étant au centre de Platon, ce qui fascine le groupe.
La musique permet donc aussi de passer du corps à l’esprit, et la musique prend dans cette mesure une dimension religieuse. C’est ainsi que le piano ou l’orgue sont souvent les instruments qui expriment la vertu, et peuvent être liés au sentiment religieux, comme dans le tableau de Vermeer (La leçon de musique ou la dame au virginal, 1662-1665, huile sur toile, 74x64cm, Londres). Ce virginal est orné d’une inscription : « la musique est la compagne de la joie et le remède des douleurs ». Il signifie le caractère abstrait de la musique. Cette musique harmonieuse se réfère aussi à l’amour, qui lui-même se veut harmonieux, « jeune femme debout devant une épinette » étant le titre d’un poème du XVIIe siècle. On y retrouve la contrebasse qui rappelle le corps d’une femme, celui d’une virginité éventuellement perdue. Sa grande luminosité, caractéristique du peintre, lui donne cet aspect divin. Mais le coup de maître est aussi dans la représentation de l’immatériel de la musique, en donnant au tableau une sonorité par les couleurs se contrastant et la touche vibrante créant un effet de flou, dans le reflet de la fille dans le miroir qui donne de la profondeur au tableau, et le contraste des matériaux presque tactiles, entre le froid du carrelage et la chaleur empoussiérée du velours tapis.
L’image nous rappelle bien celle de Mère Augustine enseignant aux jeunes filles du couvent l’art du piano.
Pour finir, nous vous proposons une filmographie sélective de films sur la musique :
- Shine, Scott Hicks (1997)
- Amadeus, Milos Forman (1984)
- La leçon de piano, Jane Campion (1993)
- Le pianiste, Roman Polanski (2002)
- La pianiste, Michael Haneke (2000)
- Man on the moon, Milos Forman (2000)
- Whiplash, Damien Chazelle (2014)
Laura Bourdais