Fritz Bauer, Lars Kraume

Fritz Bauer, Lars Kraume

L'Oeil AviséFRITZ BAUERFritz Bauer, Un héros allemand (Der Staat gegen Fritz Bauer)
Sortie nationale : 13/04/2016
Allemagne
Réalisateur : Lars Kraume
Producteur : Zero One Film
Distributeur : ARP DistributionAvec Burghart Klaussner, Ronald Zehrfeld
Durée : 1h25
Prix du public du festival de Locarno


Francfort, 1957. Le juge Fritz Bauer reçoit une lettre l’informant qu’Adolf Eichmann, responsable de l’organisation des déportations et exterminations pendant la Seconde Guerre mondiale, se cacherait sous un faux nom à Buenos Aires. S’ensuit une lutte entre Fritz Bauer et l’Etat allemand, entre tentative d’extradition de ce criminel pour le juger en Allemagne, et silence imposé en période de reconstruction.

La Seconde Guerre mondiale et le nazisme constituent sans nul doute un thème récurrent du cinéma allemand d’aujourd’hui. Lars Kraume fait ici avec son co-scénariste Olivier Guez le pari de partir de nouveau de ce passé, tout en se concentrant sur une période encore obscure de l’histoire allemande : la fin des années 1950. La question à l’origine du film, selon Olivier Guez, est de savoir « comment une société a pu se remettre des horreurs qu’elle avait commises ».

Car si Fritz Bauer, personnage pour lequel on éprouve une empathie forte du fait de la force de ses convictions, apparaît comme « un héros », comme l’indique la version traduite du titre du film, il en va tout autrement de l’Etat auquel il s’oppose dans sa quête. La Guerre est finie, mais elle l’est depuis peu, et les hauts fonctionnaires sont en grande partie restés les mêmes. Ainsi, les premiers opposants à la volonté de rétablir la justice sont ceux qui en sont officiellement les représentants, et Fritz Bauer semble ne pouvoir dans sa lutte faire confiance à personne d’autre que le procureur Karl Angermann. C’est donc vers les services secrets du Mossad que le juge va se tourner pour obtenir les informations qu’il recherche, s’exposant par là à une condamnation pour trahison de son pays.

On peut reprocher au film un certain manichéisme propre aux films de guerre dans l’opposition entre les deux protagonistes d’une part, et le reste du monde d’autre part. Tout n’est que complot et stratégie, trahison et mensonges, isolant Bauer et Angermann. Néanmoins, il se retrouve nuancé par les faiblesses que les deux héros laissent apercevoir : erreurs passées, tentation de céder à la pression extérieure ; c’est la fragilité qui transparaît alors qui rend aux personnages leur humanité, et en ce sens leur authenticité.

C’est bien l’enjeu que le film se fixe : donner à voir à l’écran l’histoire telle qu’elle s’est produite, en se basant sur des faits précis. Les recherches effectuées précédemment par le co-scénariste Olivier Guez, qui l’ont conduit à faire paraître en 2007 L’impossible retour : une histoire des juifs d’Allemagne depuis 1945, permettent de s’inscrire dans ce cadre, et par là de marquer la singularité du film. En effet, de nombreux rapprochements ont été faits avec Le Labyrinthe du silence, qui se distingue cependant car il s’agit pour celui-ci d’une fiction inscrite dans un cadre historique, quand Fritz Bauer prend le parti d’exploiter la réalité historique dans ce qu’on en sait précisément. C’est à une plongée saisissante dans le passé que l’on a affaire, qui se renforce par une esthétique rappelant l’ambiance de la série télévisée Mad Men, ses couleurs et ses costumes.

En résumé, on est rapidement happé par la quête du juge Fritz Bauer, et plusieurs fois choqué par les obstacles auxquels il se heurte. Le film est d’autant plus frappant qu’il se présente comme un témoin de l’histoire, d’une période à laquelle on s’est encore peu confronté. À la fin de la séance et de la rencontre avec le co-scénariste demeure une question : si le cinéma allemand se fait la réponse à un certain devoir de mémoire, mettant en lumière les personnages qui ont fait un pays dans ses moments obscurs, qu’en est-il de la France, des récits de Vichy et de la Guerre d’Algérie ?

Mathilde Chauvel

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