Rencontre avec Yohann Cornu

Rencontre avec Yohann Cornu

Dans le cadre de la présentation du film Melody aux Recontres Cinématographiques du Sud, nous avons pu rencontrer Yohann Cornu, distributeur qui a fondé sa propre société Damned Films. Il nous a livré quelques confidences sur son parcours, ses expériences, et sa vision du métier et du cinéma.

 

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Yohann Cornu, j’ai monté une société qui s’appelle Damned Distribution il y a trois, quatre ans, dans le but de monter une société de cinéma pour voyager, pour rêver de cinéma, pour explorer plein de cinématographies dans des pays comme l’Inde, le Brésil, New-York. Tout ça me permet d’imaginer le rôle de distributeur de film comme un collectionneur qui veut faire partager une collection de films inédits, de films rares. Là en 3 ans je dois arriver à 15 films sortis. C’est pas mal de travail car il faut créer toute l’identité du film en France, tant sur les affiches, bandes annonces, synopsis, tout ce qu’il y a autour du film en fait. Je travaillais avant pour un autre distributeur et j’avais envie de créer mon jouet de cinéphile. Je voulais faire découvrir des films que l’on ne verrait pas ailleurs.

 

Pouvez-vous revenir sur votre parcours ? Qu’est-ce qui vous a amené là ?

Je suis originaire de Grenoble. J’ai vécu très éloigné du cinéma. Ma famille n’avait aucune affinité liée au cinéma. J’ai fait un master en marketing international. Les premiers postes que j’ai eus ne me faisaient pas rêver. Une seule chose me restait dans un coin de la tête : le fait que j’ai loupé de quelques points le concours d’entrée à la Fémis. Je me suis donc dit qu’il fallait que j’allie ce que je sais faire à ce que j’aime, le cinéma. Du coup j’ai refait un master à Paris en marketing audiovisuel pour allier un peu les deux. Là j’ai fait un premier stage assez rapide chez Wild Bunch. C’était assez magique d’être le transmetteur entre le public et le réalisateur. J’ai fait quelques autres stages pour découvrir le milieu, je suis revenue chez Wild Bunch. C’était très excitant parce que j’étais au contact du cinéma indépendant, d’auteur au niveau mondial. Après quelques années j’ai voulu faire mon « mini bunch » et je suis partie en Inde. Je connaissais très peu cette cinématographie à part quelques Bollywood et des films d’auteurs qui commençaient à être datés. J’ai essayé de découvrir toutes les cinématographies en marge de Bollywood. Au bout de quelques mois j’ai trouvé un film un peu par hasard qui s’appelle « The Damned Rain » d’où le nom de la société.

 

Si vous deviez décrire votre métier vous diriez quoi ?

J’aime bien l’idée de collectionneur de film et l’idée de créer son line-up, son catalogue de films. On a aussi un gros rôle d’intermédiaire entre le côté artistique, une économie internationale et le marché français. La grande majorité des films sur lesquels j’ai travaillé sont des films de réalisateurs de moins de 40 ans, qui ont un cachet « personne talentueuse » des premiers ou deuxième films qui ont eu des reconnaissances internationales sur des très beaux festivals. Les premiers ou deuxième films ne sont pas ceux qui sont les plus rentables souvent donc ce ne sont pas ceux qui intéressent les grosses boîtes de distribution, mais ce sont des films très importants qui permettent au réalisateur de créer quelque chose…

 

De lancer leur carrière aussi…

Oui, de lancer leur filmographie. S’ils passent que dans des festivals, ils n’arrivent pas à financer leur prochain film. Je commence à coproduire certains films, brésilien, américain… J’ai pas fait d’école de production, mais j’ai pu commencer à faire mes armes.

 

Directement sur le terrain c’est la meilleure des écoles en fait ?

Oui exactement.

 

Si vous deviez donner un aspect positif et négatif de votre travail ?

Le positif c’est que je travaille avec des réalisateurs qui me font rêver, qui sont jeunes, et qu’il y a toutes les raisons de penser que leur carrière va décoller. Mon souhait c’est de créer un vivier de talent, d’accompagner les talents de demain. Le positif c’est de rêver de cinéma international. Le revers c’est que ce ne sont pas les films les plus rentables sur lesquels on travaille aujourd’hui. Du coup c’est très éprouvant car je prends en charge beaucoup de choses moi même comme toutes les traductions des textes… C’est la passion qui rejoint le domaine professionnel. La difficulté c’est de faire la distinction entre le personnel et le professionnel. C’est un peu un boulot sans fin. C’est hyper prenant et passionnant mais parfois trop prenant du coup.

 

Est-ce que vous avez encore le temps d’aller au cinéma et si oui est-ce que vous arrivez à vous décoller de cette approche professionnelle pour juste prendre du plaisir ?

Oui parce que j’adore aller au cinéma. J’ai envie d’y aller  plus mais j’y vais quand même 3-4 fois par semaine.

 

C’est déjà pas mal !

Oui c’est pas mal. Après c’est vrai qu’il y a toujours ce côté professionnel qui ressort. Après quand je vois un film comme « Most violent year » je me laisse emporter. Je peux y aller en tant que cinéphile. Mais on regarde plus jamais les films de manière neutre, non (rires).

 

Votre expérience la plus marquante ?

Si je regarde tous les films que j’ai sortis, à chaque fois ce sont des expériences marquantes. Je n’en n’ai pas une en particulier. Ce sont plusieurs rencontres et expériences que j’ai pu avoir dans les différents pays. Avec des réalisatrices comme Audrey Estrugo par exemple que j’ai accompagné sur son troisième film « Une histoire banale ». Le succès de ce film lui a permis maintenant de tourner un nouveau film avec notamment Sophie Marceau et tout un bal d’actrices. On est devenus proches, autant dans la vie que dans le cinéma.

 

En ce qui concerne Melody, qu’est-ce qui vous a séduit ?

Par rapport à d’autres films que je suis allé cherché loin, la Belgique et le Luxembourg  c’est moins loin. J’avais rencontré Bernard Bellefroid au prix Sopadin du scénario. Il avait eu le prix l’année précédente. J’avais repéré son nom, il faisait un film avec Sergi Lopez, « La Régate ». Le film était vraiment très bien. Je me suis dit « tiens voilà quelqu’un qui a de la touche cinéma entre les mains » et c’est le producteur un jour qui me contacte. Le film devait sortir avec un autre distributeur. Il trouvait mon travail « élégant » et moi j’ai trouvé son film vachement élégant aussi. Après moi je lui ai dit que je n’avais pas la capacité de le sortir sur 100 écrans, qu’il ne fallait pas rêver de 200 000 entrées mais que si on restait sur des bases réalistes et sans avoir de pression, j’étais partant pour l’accompagner. C’est un très beau film, un cadeau que l’on m’a fait. Les actrices sont merveilleuses. C’est un très beau film, qui par rapport à d’autres coups de cœur que j’ai eu avant apporte un succès général accès impressionnant. Plus ça va, plus je me dis que le film risque de marcher, plus que ce que j’imaginais.

 

Si vous aviez un conseil à donner pour les jeunes étudiants qui veulent faire le même métier que vous vous leur direz quoi ?

On a tendance à voir les postes clés comme le distributeur, le producteur, chacun de leur côté mais il faut voir l’ensemble des fonctions ensemble, l’aspect économique, l’aspect esthétique… Il n’y a pas 10 000 postes, donc j’encourage à créer son poste suivant ses envies. Mais ce n’est pas simple, il faut avoir beaucoup de chance aussi.

 

C’est du hasard qui fait bien les choses aussi, de la passion…

Oui tout à fait, de la passion qui se partage surtout ! Il faut avoir une passion cinéphilique pour aller chercher des films… Il faut garder à l’esprit ce que l’on aime comme films, comme style. Il ne faut pas s’arrêter à ce que les autres pensent et suivre ce qu’on aime. L’important c’est de laisser libre cours à sa cinéphilie.

 

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